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基督山伯爵中法對照54(法)

  « - Allons, allons, donnez donc ! Quel homme terrible ! reprit le bijoutier en lui tirant des mains le diamant, je lui compte quarante-cinq mille francs, deux mille cinq cents livres de rente, c'est-à-dire une fortune comme je voudrais bien en avoir une, moi, et il n'est pas encore content.

  « - Et les quarante-cinq mille francs, demanda Caderousse d'une voix rauque ; voyons, où sont-ils ?

  « - Les voilà », dit le bijoutier.

  « Et il compta sur la table quinze mille francs en or et trente mille francs en billets de banque.

  « - Attendez que j'allume la lampe, dit la Carconte, il n'y fait plus clair, et on pourrait se tromper. »

  « En effet, la nuit était venue pendant cette discussion, et, avec la nuit, l'orage qui menaçait depuis une demi-heure. On entendait gronder sourdement le tonnerre dans le lointain ; mais ni le bijoutier, ni Caderousse, ni la Carconte, ne paraissaient s'en occuper, possédés qu'ils étaient tous les trois du démon du gain. Moi-même, j'éprouvais une étrange fascination à la vue de tout cet or et de tous ces billets. Il me semblait que je faisais un rêve, et, comme il arrive dans un rêve, je me sentais enchaîné à ma place.

  « Caderousse compta et recompta l'or et les billets, puis il les passa à sa femme, qui les compta et recompta à son tour.

  « Pendant ce temps, le bijoutier faisait miroiter le diamant sous les rayons de la lampe, et le diamant jetait des éclairs qui lui faisaient oublier ceux qui, précurseurs de l'orage, commençaient à enflammer les fenêtres.

  « - Eh bien, le compte y est-il ? demanda le bijoutier.

  « - Oui, dit Caderousse ; donne le portefeuille et cherche un sac, Carconte. »

  « La Carconte alla à une armoire et revint apportant un vieux portefeuille de cuir, duquel on tira quelques lettres graisseuses à la place desquelles on remit les billets, et un sac dans lequel étaient enfermés deux ou trois écus de six livres, qui composaient probablement toute la fortune du misérable ménage.

  « - Là, dit Caderousse, quoique vous nous ayez soulevé une dizaine de mille francs, peut-être, voulez-vous souper avec nous ? c'est de bon coeur.

  « - Merci, dit le bijoutier, il doit se faire tard, et il faut que je retourne à Beaucaire ; ma femme serait inquiète » : il tira sa montre. « Morbleu ! s'écria-t-il, neuf heures bientôt, je ne serai pas à Beaucaire avant minuit. Adieu, mes petits enfants ; s'il vous revient par hasard des abbés Busoni, pensez à moi.

  « - Dans huit jours, vous ne serez plus à Beaucaire, dit Caderousse, puisque la foire finit la semaine prochaine.

  « - Non, mais cela ne fait rien ; écrivez-moi à Paris à M. Joannès, au Palais-Royal, galerie de Pierre, n° 45, je ferai le voyage exprès si cela en vaut la peine. »

  « Un coup de tonnerre retentit, accompagné d'un éclair si violent qu'il effaça presque la clarté de la lampe.

  « - Oh ! oh ! dit Caderousse, vous allez partir par ce temps-là ?

  « - Oh ! je n'ai pas peur du tonnerre, dit le bijoutier.

  « - Et des voleurs ? demanda la Carconte. La route n'est jamais bien sûre pendant la foire.

  « - Oh ! quant aux voleurs, dit Joannès, voilà pour eux. »

  « Et il tira de sa poche une paire de petits pistolets chargés jusqu'à la gueule.

  « - Voilà, dit-il, des chiens qui aboient et mordent en même temps : c'est pour les deux premiers qui auraient envie de votre diamant, père Caderousse. »

  « Caderousse et sa femme échangèrent un regard sombre. Il paraît qu'ils avaient en même temps quelque terrible pensée.

  « - Alors, bon voyage ! dit Caderousse.

  « - Merci ! » dit le bijoutier.

  « Il prit sa canne qu'il avait posée contre un vieux bahut, et sortit. Au moment où il ouvrit la porte, une telle bouffée de vent entra qu'elle faillit éteindre la lampe.

  « - Oh ! dit-il, il va faire un joli temps, et deux lieues de pays à faire avec ce temps-là !

  « - Restez, dit Caderousse, vous coucherez ici.

  « - Oui, restez, dit la Carconte d'une voix tremblante, nous aurons bien soin de vous.

  « - Non pas, il faut que j'aille coucher à Beaucaire. Adieu. »

  « Caderousse alla lentement jusqu'au seuil.

  « - Il ne fait ni ciel ni terre, dit le bijoutier déjà hors de la maison. Faut-il prendre à droite ou à gauche ?

  « - A droite, dit Caderousse ; il n'y a pas à s'y tromper, la route est bordée d'arbres de chaque côté.

  « - Bon, j'y suis, dit la voix presque perdue dans le lointain.

  « - Ferme donc la porte, dit la Carconte, je n'aime pas les portes ouvertes quand il tonne.

  « - Et quand il y a de l'argent dans la maison, n'est-ce pas ? » dit Caderousse en donnant un double tour à la serrure.

  « Il rentra, alla à l'armoire, retira le sac et le portefeuille, et tous deux se mirent à recompter pour la troisième fois leur or et leurs billets. Je n'ai jamais vu expression pareille à ces deux visages dont cette maigre lampe éclairait la cupidité. La femme surtout était hideuse ; le tremblement fiévreux qui l'animait habituellement avait redoublé. Son visage de pâle était devenu livide ; ses yeux caves flamboyaient.

  « - Pourquoi donc, demanda-t-elle d'une voix sourde, lui avais-tu offert de coucher ici ?

  « - Mais, répondit Caderousse en tressaillant, pour... pour qu'il n'eût pas la peine de retourner à Beaucaire.

  « - Ah ! dit la femme avec une expression impossible à rendre, je croyais que c'était pour autre chose, moi.

  « - Femme ! femme ! s'écria Caderousse, pourquoi as-tu de pareilles idées, et pourquoi les ayant ne les gardes-tu pas pour toi ?

  « - C'est égal, dit la Carconte après un instant de silence, tu n'es pas un homme.

  « - Comment cela ? fit Caderousse.

  « - Si tu avais été un homme, il ne serait pas sorti d'ici.

  « - Femme !

  « - Ou bien il n'arriverait pas à Beaucaire.

  « - Femme !

  « - La route fait un coude et il est obligé de suivre la route, tandis qu'il y a le long du canal un chemin qui raccourcit.

  « - Femme, tu offenses le Bon Dieu. Tiens, écoute... »

  « En effet, on entendit un effroyable coup de tonnerre en même temps qu'un éclair bleuâtre enflammait toute la salle, et la foudre, décroissant lentement, sembla s'éloigner comme à regret de la maison maudite.

  « - Jésus ! » dit la Carconte en se signant.

  « Au même instant, et au milieu de ce, silence de terreur qui suit ordinairement les coups de tonnerre, on entendit frapper à la porte.

  « Caderousse et sa femme tressaillirent et se regardèrent épouvantés.

  « - Qui va là ? » s'écria Caderousse en se levant et en réunissant en un seul tas l'or et les billets épars sur la table et qu'il couvrit de ses deux mains.

  « - Moi ! dit une voix.

  « - Qui, vous ?

  « - Et pardieu ! Joannès le bijoutier.

  « - Eh bien, que disais-tu donc, reprit la Carconte avec un effroyable sourire, que j'offensais le Bon Dieu !... Voilà le Bon Dieu qui nous le renvoie. »

  « Caderousse retomba pâle et haletant sur sa chaise. La Carconte, au contraire, se leva, et alla d'un pas ferme à la porte qu'elle ouvrit.

  « - Entrez donc, cher monsieur Joannès, dit-elle.

  « - Ma foi, dit le bijoutier ruisselant de pluie, il paraît que le diable ne veut pas que je retourne à Beaucaire ce soir. Les plus courtes folies sont les meilleures, mon cher monsieur Caderousse ; vous m'avez offert l'hospitalité, je l'accepte et je reviens coucher chez vous. »

  « Caderousse balbutia quelques mots en essuyant la sueur qui coulait sur son front. La Carconte referma la porte à double tour derrière le bijoutier.

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