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基督山伯爵中法對照106

  - Ecoutez ceci, ma mère, et ne vous émotionnez pas trop. »

  Et Albert, se levant, alla embrasser sa mère sur les deux joues, puis il s'arrêta à la regarder.

  « Vous n'avez pas idée, ma mère, comme je vous trouve belle ! dit le jeune homme avec un profond sentiment d'amour filial, vous êtes en vérité la plus belle comme vous êtes la plus noble des femmes que j'aie jamais vues !

  - Cher enfant, dit Mercédès essayant en vain de retenir une larme qui pointait au coin de sa paupière.

  - En vérité, il ne vous manquait plus que d'être malheureuse pour changer mon amour en adoration.

  - Je ne suis pas malheureuse tant que j'ai mon fils, dit Mercédès ; je ne serai point malheureuse tant que je l'aurai.

  - Ah ! justement, dit Albert ; mais voilà où commence l'épreuve, ma mère : vous savez ce qui est convenu ?

  - Sommes-nous donc convenus de quelque chose ? demanda Mercédès.

  - Oui, il est convenu que vous habiterez Marseille, et que, moi, je partirai pour l'Afrique, où, en place du nom que j'ai quitté, je me ferai le nom que j'ai pris. »

  Mercédès poussa un soupir.

  « Eh bien, ma mère, depuis hier je suis engagé dans les spahis, ajouta le jeune homme en baissant les yeux avec une certaine honte, car il ne savait pas lui-même tout ce que son abaissement avait de sublime ; ou plutôt j'ai cru que mon corps était bien à moi et que je pouvais le vendre ; depuis hier je remplace quelqu'un.

  « Je me suis vendu, comme on dit, et, ajouta-t-il en essayant de sourire, plus cher que je ne croyais valoir, c'est-à-dire deux mille francs.

  - Ainsi ces mille francs ?... dit en tressaillant Mercédès.

  - C'est la moitié de la somme, ma mère ; l'autre viendra dans un an. »

  Mercédès leva les yeux au ciel avec une expression que rien ne saurait rendre, et les deux larmes arrêtées au coin de sa paupière, débordant sous l'émotion intérieure, coulèrent silencieusement le long de ses joues.

  « Le prix de ton sang ! murmura-t-elle.

  - Oui, si je suis tué, dit en riant Morcerf, mais je t'assure, bonne mère, que je suis au contraire dans l'intention de défendre cruellement ma peau ; je ne me suis jamais senti si bonne envie de vivre que maintenant.

  - Mon Dieu ! mon Dieu ! fit Mercédès.

  - D'ailleurs, pourquoi donc voulez-vous que je sois tué, ma mère !

  « Est-ce que Lamoricière, cet autre Ney du Midi, a été tué ?

  « Est-ce que Changarnier a été tué ?

  « Est-ce que Bedeau a été tué ?

  « Est-ce que Morrel, que nous connaissons, a été tué ?

  « Songez donc à votre joie, ma mère, lorsque vous me verrez revenir avec mon uniforme brodé !

  « Je vous déclare que je compte être superbe là-dessous, et que j'ai choisi ce régiment-là par coquetterie. »

  Mercédès soupira, tout en essayant de sourire ; elle comprenait, cette sainte mère, qu'il était mal à elle de laisser porter à son enfant tout le poids du sacrifice.

  « Eh bien, donc ! reprit Albert, vous comprenez, ma mère, voilà déjà plus de quatre mille francs assurés pour vous : avec ces quatre mille francs vous vivrez deux bonnes années.

  - Crois-tu ? » dit Mercédès.

  Ces mots étaient échappés à la comtesse, et avec une douleur si vraie que leur véritable sens n'échappa point à Albert ; il sentit son coeur se serrer, et, prenant la main de sa mère, qu'il pressa tendrement dans les siennes :

  « Oui, vous vivrez ! dit-il.

  - Je vivrai ! s'écria Mercédès, mais tu ne partiras point, n'est-ce pas, mon fils ?

  - Ma mère, je partirai, dit Albert d'une voix calme et ferme ; vous m'aimez trop pour me laisser près de vous oisif et inutile ; d'ailleurs j'ai signé.

  - Tu feras selon ta volonté, mon fils ; moi, je ferai selon celle de Dieu.

  - Non pas selon ma volonté, ma mère, mais selon la raison, selon la nécessité. Nous sommes deux créatures désespérées, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que la vie pour vous aujourd'hui ? rien. Qu'est-ce que la vie pour moi ? oh ! bien peu de chose sans vous, ma mère, croyez-le ; car sans vous cette vie, je vous le jure, eût cessé du jour où j'ai douté de mon père et renié son nom ! Enfin, je vis, si vous me promettez d'espérer encore ; si vous me laissez le soin de votre bonheur à venir, vous doublez ma force. Alors je vais trouver là-bas le gouverneur de l'Algérie, c'est un coeur loyal et surtout essentiellement soldat ; je lui conte ma lugubre histoire : je le prie de tourner de temps en temps les yeux du côté où je serai, et s'il me tient parole, s'il me regarde faire, avant six mois je suis officier ou mort. Si je suis officier, votre sort est assuré, ma mère, car j'aurai de l'argent pour vous et pour moi, et de plus un nouveau nom dont nous serons fiers tous deux, puisque ce sera votre vrai nom. Si je suis tué... eh bien, si je suis tué, alors, chère mère, vous mourrez, s'il vous plaît, et alors nos malheurs auront leur terme dans leur excès même.

  - C'est bien, répondit Mercédès avec son noble et éloquent regard ; tu as raison, mon fils : prouvons à certaines gens qui nous regardent et qui attendent nos actes pour nous juger, prouvons-leur que nous sommes au moins dignes d'être plaints.

  - Mais pas de funèbres idées, chère mère ! s'écria le jeune homme ; je vous jure que nous sommes, ou du moins que nous pouvons être très heureux. Vous êtes à la fois une femme pleine d'esprit et de résignation ; moi, je suis devenu simple de goût et sans passion, je l'espère. Une fois au service, me voilà riche ; une fois dans la maison de M. Dantès, vous voilà tranquille. Essayons ! je vous en prie, ma mère, essayons.

  - Oui, essayons, mon fils, car tu dois vivre, car tu dois être heureux, répondit Mercédès.

  - Ainsi, ma mère, voilà notre partage fait, ajouta le jeune homme en affectant une grande aisance. Nous pouvons aujourd'hui même partir. Allons, je retiens, comme il est dit, votre place.

  - Mais la tienne, mon fils ?

  - Moi, je dois rester deux ou trois jours encore, ma mère ; c'est un commencement de séparation, et nous avons besoin de nous y habituer. J'ai besoin de quelques recommandations, de quelques renseignements sur l'Afrique, je vous rejoindrai à Marseille.

  - Eh bien, soit, partons ! dit Mercédès en s'enveloppant dans le seul châle qu'elle eût emporté, et qui se trouvait par hasard un cachemire noir d'un grand prix ; partons ! »

  Albert recueillit à la hâte ses papiers, sonna pour payer les trente francs qu'il devait au maître de l'hôtel, et, offrant son bras à sa mère, il descendit l'escalier.

  Quelqu'un descendait devant eux ; ce quelqu'un, entendant le frôlement d'une robe de soie sur la rampe, se retourna.

  « Debray ! murmura Albert.

  - Vous, Morcerf ? » répondit le secrétaire du ministre en s'arrêtant sur la marche où il se trouvait.

  La curiosité l'emporta chez Debray sur le désir de garder l'incognito ; d'ailleurs il était reconnu.

  Il semblait piquant, en effet, de retrouver dans cet hôtel ignoré le jeune homme dont la malheureuse aventure venait de faire un si grand éclat dans Paris.

  « Morcerf ! » répéta Debray.

  Puis, apercevant dans la demi-obscurité la tournure jeune encore et le voile noir de Mme de Morcerf.

  « Oh ! pardon, ajouta-t-il avec un sourire, je vous laisse, Albert. »

  Albert comprit la pensée de Debray.

  « Ma mère, dit-il en se retournant vers Mercédès, c'est M. Debray, secrétaire du ministre de l’intérieur, un ancien ami à moi.

  - Comment ! ancien, balbutia Debray ; que voulez-vous dire ?

  - Je dis cela, monsieur Debray, reprit Albert, parce qu'aujourd'hui je n'ai plus d'amis, et que je ne dois plus en avoir. Je vous remercie beaucoup d'avoir bien voulu me reconnaître, monsieur. »

  Debray remonta deux marches et vint donner une énergique poignée de main à son interlocuteur.

  « Croyez, mon cher Albert, dit-il avec l'émotion qu'il était susceptible d'avoir, croyez que j'ai pris une part profonde au malheur qui vous frappe, et que, pour toutes choses, je me mets à votre disposition.

  - Merci, monsieur, dit en souriant Albert, mais au milieu de ce malheur, nous sommes demeurés assez riches pour n'avoir besoin de recourir à personne. Nous quittons Paris, et, notre voyage payé, il nous reste cinq mille francs. »

  Le rouge monta au front de Debray, qui tenait un million dans son portefeuille ; et si peu poétique que fût cet esprit exact, il ne put s'empêcher de réfléchir que la même maison contenait naguère encore deux femmes, dont l'une, justement déshonorée, s'en allait pauvre avec quinze cent mille francs sous le pli de son manteau, et dont l'autre, injustement frappée, mais sublime en son malheur, se trouvait riche avec quelques deniers.

  Ce parallèle dérouta ses combinaisons de politesse, la philosophie de l'exemple l'écrasa ; il balbutia quelques mots de civilité générale et descendit rapidement.

  Ce jour-là, les commis du ministère, ses subordonnés, eurent fort à souffrir de son humeur chagrine.

  Mais le soir il se rendit acquéreur d'une fort belle maison, sise boulevard de la Madeleine, et rapportant cinquante mille livres de rente.

  Le lendemain, à l'heure où Debray signait l'acte, c'est-à-dire sur les cinq heures du soir, Mme de Morcerf, après avoir tendrement embrassé son fils et après avoir été tendrement embrassée par lui, montait dans le coupé de la diligence, qui se refermait sur elle.

  Un homme était caché dans la cour des messageries Laffitte derrière une de ces fenêtres cintrées d'entresol qui surmontent chaque bureau ; il vit Mercédès monter en voiture ; il vit partir la diligence ; il vit s'éloigner Albert.

  Alors il passa la main sur son front chargé de doute en disant :

  « Hélas ! par quel moyen rendrai-je à ces deux innocents le bonheur que je leur ai ôté ? Dieu m'aidera. »[1][2][3][4]

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